Bienvenue à Tchernobyl !

Le Gueuloir du Vendredi

Ce titre, qui aurait pu être « bienvenue à Fukushima », n’est, fort heureusement, pas une de mes inventions, il y a quand même certaines limites à la dérision, mais s’étale en gros caractères sur deux pleines pages du Figaro magazine (édition du 16 avril 2011), instrument de propagande de M. Sarkozy,  Président d’un des pays les plus nucléarisés au monde et farouche VRP de l’énergie atomique.

Le premier moment de stupeur passé, le lecteur apprend que ces courageux journalistes, bravant toutes leurs légitimes craintes, se sont rendus sur le territoire maudit des bébés à trois têtes, des tumeurs cancéreuses, en bref, de la pire catastrophe humaine, animale et écologique survenue grâce aux bienfaits du nucléaire.

J’admire ces deux envoyés spéciaux, d’une part, pour leur vocation presque sacrificielle à informer le public, mais surtout pour leur habileté linguistique à manipuler l’opinion. Relisons un peu et traduisons, (langue source : langue de bois, langue cible : français).

Sous le titre et en surimpression d’une image destinée à évoquer aux inconditionnels  de ce magazine le souvenir d’un couteux voyage en terra incognita et de nuits inoubliables dans des « lodges » climatisées, C. Baran et C. Faimali jettent un premier trouble : Tchernobyl est « toujours contaminé, fermé à l’homme, mais la faune et la flore (y) prolifèrent étrangement ».

Premier émoi pour le lecteur : mon Dieu, mon Dieu, encore de nouvelles espèces dignes des pires inventions de Tolkien, des poules dotées de défenses d’éléphant, des arbres qui marchent?

Deuxième surprise : mais que vient faire ce « mais » dans la phrase ??? La révélation, l’épiphanie nous attend au détour de la page suivante : « la faune et la faune prolifèrent étrangement » signifie, loin des connotations négatives habituellement associées à la prolifération (surtout depuis l’invention du nucléaire) et à l’étrangeté, qu’il se passe, en fait,  un vrai miracle à Tchernobyl ; on peut y admirer à loisir « une faune et une flore aussi inattendues qu’insolentes de prospérité », des « élans, lynx, ours, chevreuil, cerfs, et autres loups qui se sont réappropriés l’espace», des « lapins bondissants », un « beau spécimen de loup à la toison d’or », se griser du chant de plus de « deux cent quatre-vingts espèces d’oiseaux » et observer pas moins de 400 espèces animales écrites en gros caractères….Mazette !

Le clou du spectacle est sans nul doute la cigogne chère à un certain Griva, obscur et irradié habitant des lieux. Cet oiseau de conte de fées, mais bien réel, soyons-en sûrs, « niche au sommet d’un poteau électrique et revient tous les ans, en pleine santé » portant certainement dans son bec robuste des bébés, eux aussi en pleine santé, pour les offrir, les larmes aux yeux, aux femmes qui présentent, elles, toutes des malformations gynécologiques leur interdisant à jamais la maternité.

D’ici quelques années, le magazine nous contera l’histoire édifiante de nouveaux russes bondissant dans les forêts, de babouchkas tricentenaires au teint de pêche, de devotchkas  à la beauté surnaturelle envoutant le voyageur égaré mais aussi celle des merveilleux parcs naturels de Fukushima, du Tricastin ou de Beaver Valley….

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